L’avortement provoqué ou l’interruption volontaire de la grossesse (IVG) reste une épreuve difficile pour celle qui l’a vécue que ce soit au niveau moral ou physique. Cela reste aussi du domaine du tabou d’autant plus que la société tunisienne n’accepte pas ou encore partiellement cet acte dans le cadre du mariage ou hors cadre du mariage. Nous essayerons à travers cet article de répondre aux questions les plus courantes sur l’avortement en Tunisie.
QU’EST CE QUE L’AVORTEMENT PROVOQUÉ OU IVG ?
L’avortement se définit comme l’interruption du processus de gestation ( période entre la fécondation et la naissance). Cette interruption peut être provoquée ou spontanée. Dans cet article, nous parlerons de l’avortement provoqué ou IVG.
L’AVORTEMENT EN CHIFFRES
Le nombre d’IVG effectuées en Tunisie chaque année est entre 2 000 et 17 000. Ainsi près de 16 000 femmes ont avorté en 2015 selon l’Organisation Nationale de la Famille et de la Population (ONFP). Nous ne disposons pas de chiffres plus récents.
L’AVORTEMENT ET LA LOI TUNISIENNE
L’avortement est légal depuis 1973 en Tunisie et est pratiqué gratuitement, à la demande de la femme, jusqu’à trois mois de grossesse.
La loi 73-2 du 26 septembre 1973 instaure le droit à l’avortement, en l’inscrivant dans l’article 214, dans les conditions suivantes :
- L’avortement est autorisé dans les trois premiers mois de grossesse.
- L’avortement est autorisé après les trois premiers mois de grossesse si la mère présente une grossesse à risque pour sa santé physique ou psychique ou si l’enfant à naître présente une maladie ou un handicap grave.
L’avortement n’est légal que s’il est pratiqué par un médecin de profession dans un centre hospitalier ou sanitaire ou dans une clinique autorisée. L’avortement dans d’autres conditions est fortement puni par une peine de prison et une amende.
MÉTHODES D’INTERRUPTION VOLONTAIRE DE LA GROSSESSE
Il existe 2 manières d’interrompre une grossesse :
- Soit par méthode médicamenteuse
- Soit par méthode instrumentale
Il n’existe pas une méthode meilleure qu’une autre. C’est une décision collégiale avec le médecin ou la sage-femme.
Comment se passe l’IVG médicamenteuse ?
Deux médicaments différents doivent être pris à 36 – 48h d’intervalle : la mifépristone suivi du misoprostol qui vous sont remis par le médecin ou la sage-femme.
Le jour de la prise du 1er médicament (mifépristone) et le lendemain : Pas de réactions importantes après la prise de ce médicament. Cependant, vous pouvez saigner légèrement. Vous pouvez prendre les antidouleurs que le médecin vous a prescrits. Si la douleur persiste, consultez votre médecin ou votre sage-femme. Vous pouvez mener vos activités normalement.
Le jour de la prise du 2ème médicament (misoprostol) : Il est indispensable de prendre le second comme prévu même si vous avez déjà saigné après la prise du premier médicament. En effet, le 1er médicament ayant pour rôle de bloquer la grossesse, le 2ème médicament provoque des contractions et l’expulsion de l’embryon. Il est indispensable de le prendre. Les saignements seront probablement plus abondants que les règles accompagnées de douleurs comparable aux douleurs de règles ou plus intenses. D’autres effets indésirables sont aussi possibles comme les nausées ou vomissements associés parfois à une diarrhée et un état fébrile à 38°C. Ces symptômes ne durent que quelques heures. L’avortement se produit le plus souvent dans les 4 heures qui suivent la prise de ce 2ème médicament et parfois plus tardivement (jusqu’à 3 jours).
Il est recommandé de :
Ne pas prévoir de voyages ou de déplacements pendant 3 jours car parfois l’avortement se produit rapidement et dans d’autres cas il aura lieu dans les 3 jours.
Veiller à s’installer confortablement à la maison ou chez une personne de confiance et surtout ne pas être seule.
Prévoir quelqu’un pour s’occuper des enfants si vous en avez pendant les quelques heures qui suivent la prise du deuxième médicament.
Prendre les antalgiques (médicaments antidouleurs) que le médecin ou la sage-femme vous a prescrits avant d’avoir mal selon les conseils de l’ordonnance.
Éviter de prévoir un déplacement ou un voyage ou la reprise d’activités de loisir avant la visite de suivi.
Quand s’inquiéter et quoi faire ?
Si vous vomissez moins de 30 minutes après la prise des médicaments.
Dans le cas de saignements trop importants, c’est à-dire si vous devez changer de serviettes hygiéniques toutes les 30 minutes pendant plus de deux heures de suite.
La présence d’une douleur intense malgré la prise d’antidouleurs.
L’apparition d’une fièvre dans les jours qui suivent la deuxième prise de médicaments.
Si vous n’avez pas ou peu saigné dans les 3 jours qui suivent la deuxième prise de médicaments.
Dans ces cas, il faut contacter le professionnel de santé (médecin ou sage-femme).
La visite de contrôle est indispensable (après 15 jours) pour vérifier que la grossesse est bien interrompue, que l’embryon a été complètement expulsé et qu’il n’y a pas besoin de geste complémentaire.
Comment se passe l’IVG instrumentale ?
L’IVG chirurgicale ou IVG instrumentale ou IVG par aspiration, est obligatoirement pratiquée par un médecin dans établissement de santé ou un centre de santé autorisé, qu’il soit public ou privé. Elle ne dure qu’une dizaine de minutes et ne nécessite généralement qu’une hospitalisation de quelques heures, ce qui permet à la patiente de rentrer chez elle dans la journée.
IVG CHIRURGICALE OU MÉDICAMENTEUSE ?
Les femmes ont le choix en concertation avec le médecin et la sage-femme entre l’IVG chirurgicale et l’IVG médicamenteuse, mais la Haute Autorité de Santé (HAS) recommande de privilégier l’approche chirurgicale au-delà de 7 semaines de grossesse (soit 9 SA).
Les femmes qui optent pour l’IVG chirurgicale ont soit dépassé les 7 semaines de grossesse soit ne veulent pas vivre le traumatisme d’un avortement médicamenteux.
L’IVG chirurgicale peut être ainsi pratiquée jusqu’à la fin de la 12ème semaine de grossesse, autrement dit avant la fin de la 14ème semaine d’aménorrhée (SA ou absence de règles). C’est pour cela qu’elle est la plus indiquée pour les femmes qui veulent être prises en charge en moins de 24 heures et sans douleur, que ce soit pour des raisons personnelles ou professionnelles.
L’IVG médicamenteuse, qui s’étale souvent sur plusieurs jours et occasionne des douleurs, peut être source d’angoisse et d’un réel mal-être, surtout pour les femmes primipares.
LES PROBLÈMES LIÉS A L’AVORTEMENT EN TUNISIE
Une étude de l’association Tawhida Ben Cheikh datée d’août 2017 dévoile que, « près d’un quart des femmes se voient refuser l’avortement » par les membres du personnel des centres de planning familial. L’étude met en exergue aussi des mesures destinées à décourager les femmes qui souhaitent avoir recours à l’IVG. Ainsi dans une clinique, « 15% des femmes ont été obligées de subir des tests inutiles », pointe notamment l’association. Une réalité que Rafla Tej, PDG de l’ONFP admet mais condamne fermement : « Nous avons organisé des formations afin de faire prendre conscience à notre personnel que leurs idéologies religieuses n’ont pas leurs places sur leurs lieux de travail » explique-t-elle. Mais les principes du personnel ne sont pas seuls en cause de ce problème. En effet, l’accès à l’IVG est aussi rendu difficile par le manque de ressources humaines.
J’AI DÉCIDÉ D’AVORTER, PAR OÙ COMMENCER ?
Chaque femme a ses propres raisons pour poursuivre ou arrêter la grossesse, elle a ainsi le droit d’avoir le contrôle total de son corps. Toute femme a donc le choix de se rendre dans une clinique privée ou dans le centre de planning familial le plus proche de chez elle pour avorter.
Le planning familial est un service public gratuit, où le corps médical est entraîné et équipé pour pratiquer une IVG. Il suffit de vous munir d’une carte d’identité nationale. Chaque gouvernorat a plusieurs centres de planning familial.
À votre arrivée, vous serez accueillie par un gynécologue où il vous expliquera dans un premier temps tout ce que vous devez savoir sur l’avortement (effets secondaires, méthodes…). Il pratiquera par la suite les examens médicaux nécessaires (prise de sang, échographie) pour connaître l’âge de la grossesse. Ensuite, vous avez la possibilité si vous le voulez, de consulter une sage-femme et un psychologue afin qu’ils s’assurent que vous êtes convaincu de cet avortement.
Il est important aussi de faire un dépistage des infections sexuellement transmissibles. Notre article https://tbibrouhek.tn/sante/tunisie-sida-vihque-faire-apres-un-rapport-sexuel-non-protege/ pourrait vous intéresser.
Le médecin vous orientera selon votre situation et votre décision à la méthode d’avortement la plus adapté.
La femme peut choisir de faire une IVG dans une clinique privée en Tunisie, l’intervention sera dans ce cas payante.
Le plus important est que l’IVG soit pratiquée par un professionnel de santé dans une structure sanitaire.
POUR RÉSUMER
- L’IVG est un acte légal en Tunisie à la demande de la femme jusqu’à 3 mois de grossesse.
- Elle doit impérativement être pratiquée par un médecin de profession dans un centre hospitalier ou sanitaire ou dans une clinique autorisée.
- Elle peut être médicamenteuse ou instrumentale.
- Etre attentif à toutes manifestations post IVG et contacter le médecin ou la sage-femme si nécessaire.
Leroux
Article super intéressant! Merci Dr!!